Après un billet sur les bibliothèques municipales et, plus récemment un article sur la BMVR de Caen, je vais maintenant vous introduire à une bibliothèque du début du XXème siècle, assez atypique, la Bibliothèque Warburg.
Aby Warburg est né en 1866 à Hambourg au sein d'une dynastie de banquiers juifs. Mais la finance n'intéresse pas le jeune Aby. Sa passion, ce sont les livres. Dans cette optique, assouvir sa fièvre pour les livres, il aurait vendu son droit d'ainesse à un de ses frères en échange à ce qu'on lui fournisse toujours tous les livres qu'il désirait ! Il s'inscrit ensuite en Histoire de l'Art à l'Université de Bonn où il rencontre Mary, une jeune fille protestante qu'il épouse.
Aby Warburg pratique,dans ses études, la transdisciplinarité (qui est actuellement, en ce début de XXIème siècle le dada de nombreux universitaires sans qu'ils aient réellement le bagage intellectuel pour la pratiquer !). Aby Warburg se passionne ainsi pour les cours de philologie d'Hermann Usener à Bonn, professeur qui rêve d'une "morphologie des idées religieuses" et mélange mythes antiques, psychologie et anthropologie.
Parmi les autres cours appréciés par Warburg, il y a celui de Jacob Burckhardt, historien de l'art, auteur en 1860 de La Civilisation de la Renaissance en Italie, ainsi que les théories de l'évolutionniste Charles Darwin (1809 - 1882) et l'anthropologie naissante avec Edward Burnett Tylor.
En 1893, Aby Warburg publie une thèse sur le peintre florentin Botticelli et prépare ainsi sa méthode de travail. Puis ce sont des essais sur la Renaissance florentine et flamande. Warburg s'intéresse au caractère anthropologique de l'image qui doit être étudiée selon le contexte social, spirituel et symbolique (croisement de disciplines donc !). Son approche de l'art ne se préoccupe donc pas de la seule beauté des œuvres ! Il baptisera cette méthode"iconologie".
Aby Warburg se caractérise par son esprit encyclopédique. En 1895 - 1896, il se rends dans les pueblos, les villages indiens du sud-ouest des États-Unis où vivent les Hopi pour étudier leurs croyances ancestrales. Il en rapporte nombre de notes, de photos et d'objets qu'il donne au musée ethnographique de Hambourg.
C'est à son retour en Allemagne qu'il décide de transformer sa bibliothèque qui compte alors près de 20000 volumes ! Il va l'ouvrir aux chercheurs et la finance par la banque familiale. La Bibliothèque Warburg ouvre à Hambourg en 1919. Il voit dans cette institution un résultat positif de l'emploi de l'argent et du capitalisme.
Mais cette bibliothèque est atypique. Les livres ne sont ni classés chronologiquement, ni par auteur mais selon un rapport de "proximité de sujet". Il y a donc une organisation thématique des étagères qui est censée procurer au chercheur ce qu'il recherche. Les livres sont à cette fin rangés par catégories : Image, Langage, Action... Warburg est fidèle à sa théorie de l'interdisciplinarité. On note aussi la présence de disciplines "méprisées" comme l'alchimie ou la divination !
Mais l'esprit - brillant - d'Aby Warburg va s'égarer dans ces labyrinthes : il devient paranoïaque, voit des bolcheviks et des antisémites partout, se croit responsable de la défaite de l'Allemagne en 1918. Après une crise de folie, il est interné dans un hôpital psychiatrique et est transféré en 1921 à Bellevue, la clinique de Ludwig Binswanger, un des premiers à avoir introduit la méthode psychanalytique en clinique. Aby Warburg vit son internement comme un enfer !
Pourtant Binswanger encourage les travaux intellectuels de Warburg et fait établir un journal de son évolution mentale. Le 21 avril 1923, le patient Aby Warburg présente même une conférence sur les indiens Hopi à l'intérieur de l’hôpital, conférence ou il analyse le rôle de l'irrationnel dans les croyances de ce peuple, au moment où lui-même lutte contre ses démons intérieurs ! Cette communication est une victoire mais il ne sortira toutefois de Bellevue que quelques mois plus tard.
Par la suite, Warburg continuera à écrire malgré sa fragilité, multipliant les pistes de recherches. Il meurt en 1929 en laissant de nombreux projet inachevés comme une Histoire des religions.
Sa postérité se fait jour chez Ernst Cassirer, Erwin Panofsky ou encore Ernst Gombrich qui reprennent sa méthode "iconologique". Sa bibliothèque est toujours ouverte aux chercheurs à Londres, après son transfert en 1930, à Woburn, au coeur de Bloomsbury où elle compte actuellement près de 400000 volumes !
A bientôt !
Source : Article de Sophie Pujas dans "Le Point Références" N°35 - Septembre/Octobre 2011